Des experts de l’OCDE alertent sur les blocages persistants à l’exploitation des données de santé
Chaque jour, les systèmes de soins et de recherche génèrent des volumes massifs de données de santé : dossiers médicaux électroniques, imagerie, génomique, données populationnelles, plusieurs données qui pourraient transformer radicalement la prévention, le diagnostic, le traitement et l’organisation des soins. Pourtant, malgré cette abondance, les données restent sous-exploitées. Dans une analyse publiée par l’OCDE, trois experts – Clarisse Girot, Limor Shmerling Magazanik et Eric Sutherland – ont identifié les causes profondes de cette situation, et tracent des pistes concrètes pour y remédier.
Conciliation difficile entre intérêt général et libertés fondamentales :
Les auteurs insistent : la question centrale pour les pouvoirs publics est de réussir à concilier l’exploitation des données à des fins de santé publique avec la protection des droits individuels, notamment la vie privée. Dans certains cas, comme les essais cliniques, le consentement éclairé du patient est requis. Mais dans la plupart des situations, les données sont collectées indirectement via les systèmes numériques hospitaliers. Cela rend difficile, voire irréaliste, la sollicitation d’un consentement systématique à chaque nouvelle utilisation.
Pour répondre à ce dilemme, plusieurs pays comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Finlande ont fait évoluer leur législation. Ils autorisent désormais, sous conditions, la réutilisation des données sans consentement individuel, dès lors qu’un intérêt public est avéré et que des garanties de sécurité sont en place. Pour les experts de l’OCDE, cette évolution est essentielle : le consentement reste important, mais il ne peut à lui seul porter toute la responsabilité éthique de l’usage des données.
Encadrer les usages sans consentement avec des garanties solides :
L’OCDE appelle les pays à formaliser ces usages « sans consentement » à travers des cadres juridiques clairs et harmonisés. Les auteurs plaident pour des environnements de traitement sécurisés, des technologies de préservation de la vie privée (anonymisation, pseudonymisation), une formation accrue des personnels, et une traçabilité des accès. Des critères précis doivent encadrer la notion d’intérêt public, pour éviter les dérives. Ce cadre, déjà recommandé dans la Recommandation OCDE sur la gouvernance des données de santé, est aujourd’hui plus nécessaire que jamais.
Des règles encore trop fragmentées à l’échelle internationale :
L’un des constats les plus préoccupants de l’OCDE est la fragmentation des cadres de gouvernance entre les pays. Définitions divergentes de l’intérêt public, exigences réglementaires variables, absence de reconnaissance mutuelle des autorisations… Ces écarts ralentissent les projets de recherche internationaux, nuisent à la qualité de la coopération scientifique, et empêchent l’émergence d’un espace global de la donnée en santé.
Par ailleurs, les auteurs dénoncent une bureaucratie excessive. L’accès à certaines bases de données peut nécessiter jusqu’à 18 mois, plusieurs niveaux d’approbation et de nombreuses démarches administratives redondantes. Pour l’OCDE, la simplification de ces procédures – notamment par l’harmonisation des formulaires et des critères d’évaluation – est un levier immédiat d’efficacité.
La confiance du public, un pilier encore trop fragile :
Les experts de l’OCDE rappellent qu’aucune stratégie de valorisation des données ne peut réussir sans la confiance du public. Si les citoyens reconnaissent l’utilité des données pour améliorer la médecine, ils restent méfiants face aux risques de ré-identification, de cyberattaque, ou de mésusage. En 2023, une enquête citée par les auteurs montre que 85 % des personnes interrogées reconnaissent le potentiel de l’IA pour améliorer les soins, mais 75 % craignent des atteintes à la vie privée.
La transparence sur les usages, la pédagogie sur les bénéfices, et l’implication des citoyens dans les décisions (via des assemblées citoyennes, par exemple) sont des leviers essentiels. Des expériences comme celles menées en France ou au Royaume-Uni montrent qu’un dialogue structuré avec la population renforce l’acceptabilité des projets.
Une feuille de route en trois priorités selon l’OCDE
Les auteurs concluent leur analyse par une proposition d’action articulée autour de trois axes. Premièrement, rapprocher les standards et les terminologies, pour rendre les systèmes juridiquement compatibles à l’échelle internationale. Deuxièmement, adopter une approche fondée sur les risques, afin d’accélérer les projets à fort impact sanitaire et à faible risque pour la vie privée. Enfin, renforcer la légitimité des usages en impliquant activement le public, notamment via des démarches participatives et transparentes.
Pour Clarisse Girot, Limor Shmerling Magazanik et Eric Sutherland, l’exploitation des données de santé n’est pas seulement une question technologique : c’est un enjeu de gouvernance, de confiance et de volonté politique. Et si ces conditions sont réunies, les données pourront enfin tenir leur promesse : transformer les systèmes de santé au bénéfice de tous.